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Il est important pour Castoriadis de montrer que le social-historique et les relations qu’il entretient avec ses « parties » (c’est-à-dire aussi bien les individus qui le « composent » que les différents secteurs d’activités qui font fonctionner la société, et, pour l’aspect diachronique, les différentes phases d’évolution d’une société) ne sont pas exprimables par les catégories héritées de la logique traditionnelle. La logique instituée dans notre tradition de pensée est une logique identitaire et ensembliste, c’est-à-dire qui saisit toutes choses par des déterminations. Donner une identité à une chose, c’est la distinguer de tout ce qu’elle n’est pas, identifier ce qu’elle doit posséder pour être cette chose-là et pas une autre, et c’est, de ce fait, la placer dans un ensemble, l’ensemble des choses de la même espèce. Une chose qu’on ne peut placer dans aucun ensemble, dont on ne peut dire ce qu’elle est, est indéterminée. Une chose est déterminée quand elle a une définition, c’est-à-dire une description de ce qui lui est essentiel, de ce qui lui appartient nécessairement et en permanence aussi longtemps qu’elle existe, faute de quoi elle n’est plus de telle espèce mais de telle autre. Et peu importe qu’on reconnaisse des frontières fluctuantes entre certaines espèces, ou qu’il y ait des « cas limite » : cela ne met pas en question la détermination ni sa possibilité : cela exprime seulement la grande proximité de deux espèces, et cela n’a rien d’étonnant, par exemple pour les espèces naturelles dont on sait qu’elles évoluent à partir d’espèces communes. On voit pourquoi cette logique, que nous appliquons à tous les domaines, est appelée « ensembliste-identitaire », expression que Castoriadis abrègera bientôt en « ensidique ». C’est une logique dont on peut questionner la vérité — se demander s’il existe des identités dans la nature ou seulement des ressemblances superficielles que nous appelons identités — mais en tous cas cette logique est indispensable à la vie, et à toute la vie animale. En effet, il est indispensable de pouvoir reconnaître ce qui est bon ou mauvais, dans le sens de avantageux ou dangereux, et de le reconnaître par sa ressemblance avec ce qu’on a déjà expérimenté ou appris ; et plus la reconnaissance de la ressemblance atteint l’essentiel, plus on aura le comportement adéquat pour la survie.
Cependant, il y a quelques domaines de la connaissance dans lesquels cette logique n’est pas adaptée. Le social-historique est l’un d’eux. Pourquoi ne peut-on pas indiquer simplement l’identité d’une société et le type d’ensemble qu’elle constitue ? Castoriadis passe en revue les « schèmes » dont dispose la logique ensembliste-identitaire pour penser, d’une part, la coexistence d’éléments et de parties qui constitue une société, et d’autre part, la succession dans laquelle s’inscrivent les différentes époques d’une société en constante transformation (p. 264-276). Les schèmes sont des instruments de la pensée, des notions générales auxquelles on recourt pour comprendre l’articulation d’un objet. Les schèmes hérités pour penser la coexistence sont tous des variantes de la relation entre un tout et des parties, par ex. un système structurant des éléments ou un organisme unifiant des fonctions. Les schèmes hérités pour penser la succession sont causalistes ou finalistes : ou bien l’étape précédente contient la cause ou la nécessité du passage à l’étape suivante, ou bien l’étape finale est déjà visée dans l’étape initiale, comme dans le développement embryonnaire.
Pourquoi ne peut-on comprendre la société comme un tout articulant des parties, un système d’éléments ou un organisme en synergie ? Pour une raison à laquelle on a déjà fait allusion : c’est qu’on ne peut pas distinguer les éléments du tout ni des relations qu’ils entretiennent entre eux et avec le tout ; les éléments, que ce soient les individus ou les différentes institutions, ne signifient rien par eux-mêmes, séparés du tout ils ne sont rien. Si on avait affaire à des parties d’un tout, on devrait pouvoir décomposer (au moins logiquement, si pas physiquement) le tout en ses parties, et le recomposer à partir de ces éléments distincts. Or, les éléments sont autant composés par le tout que le tout par les éléments : « On ne pourrait composer une société — si l’expression avait un sens — qu’à partir d’individus déjà sociaux, qui portent déjà le social en eux-mêmes. » (p. 266) . Et cela ne change rien de recourir à une variante « émergentiste » de ce schème, en disant que le tout possède plus que la somme de ses parties, fait émerger des qualités qu’aucune partie ne possède : « Il n’y a aucun sens à considérer que langage, production, règles sociales seraient des propriétés additionnelles, qui émergeraient si l’on juxtaposait un nombre suffisant d’individus ; ces individus ne seraient pas simplement différents, mais inexistants et inconcevables hors ou avant ces propriétés collectives — sans qu’ils y soient, pour autant, réductibles. » (p. 267). Dire qu’il y a une totalité qui dépasse et détermine ses parties est insuffisant, parce que c’est justement énoncer le problème : comment cela se fait-il ? quel type de tout cela peut-il être ? Le schème de l’organisme est souvent utilisé parce qu’il y a plusieurs analogies entre une société et un organisme vivant : interdépendance des parties, chacune accomplissant sa fonction propre et contribuant ainsi au fonctionnement du tout (synergie). Castoriadis avance d’abord une critique peu convaincante de cette analogie, puis une beaucoup plus importante. Sa mauvaise critique est que les fonctions d’un organisme sont déterminées à partir d’une fin, qui est sa propre conservation et sa reproduction à l’identique ; on peut contester cette affirmation à partir de la théorie de l’évolution, où le hasard et la disparition des non adaptés jouent un rôle fondamental, de sorte que dire que la fin du vivant est sa reproduction à l’identique est très contestable. La meilleure critique est que, dans une société, une des fonctions peut se rendre indépendante des autres et même dominer les autres, alors que dans un organisme vivant chaque système partiel (circulatoire, respiratoire, digestif, nerveux,...) doit rester connecté avec les autres et tous ont la même importance vitale (p. 269). C’est donc la possibilité d’une autonomisation d’un des secteurs de la société qui fait du schème de l’organisme un schème insuffisant . En outre, chaque société crée sa propre articulation entre ces secteurs, par ex. les secteurs économique, juridique, politique, religieux, artistique... et chacune fonctionne à sa façon, quelle que soit la hiérarchie qui est établie entre eux.
Quant aux schèmes de la succession, ceux que nous fournissent la logique ensembliste-identitaire sont : la causalité (l’événement a est cause de l’événement b), la finalité (l’événement a est un moyen pour arriver à l’événement b, par exemple la phase capitaliste pour arriver à la société sans classes), et l’implication logique (si p alors q ; ajoute à la simple causalité une nécessité logique, le second étant une conséquence contenue dans le premier). La critique de Castoriadis porte sur le fait que, dans les trois schèmes, les deux événements successifs appartiennent au même ensemble, et ne sortent pas de la répétition de l’identique (p. 274). On le voit assez clairement pour la finalité et l’implication, parce qu’il y a une nécessité déjà comprise dans le point de départ, donc ce qui vient après n’est que le déploiement, le développement, la pleine réalisation, de ce qui était avant. C’est moins évident pour la causalité, si du moins elle n’est pas d’emblée liée à une nécessité, par ex. sous la forme d’une « loi de l’histoire » selon laquelle les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Il me semble que la thèse de Castoriadis, selon laquelle l’histoire est la création de formes tout à fait nouvelles, non déterminées par ce qui précédait, n’empêche pas que ces créations ont chaque fois une ou plusieurs causes. Peut-il nier que l’imagination radicale est la cause de ses créations ? C’est seulement le cas si on comprend « cause » en un sens mécanique, au sens où ceci produit nécessairement cela et ne peut produire que cela (comme le feu brûle et la chute s’accélère). Mais la cause au sens courant inclut aussi le producteur ou l’inventeur qui crée une forme nouvelle sans imiter un modèle déjà existant ; or la logique héritée peut parfaitement rendre compte de cela et donc elle est suffisante pour penser l’irruption du nouveau dans l’histoire. Il reste seulement à éclaircir à quelles conditions un producteur peut créer sans imiter, sans répéter à l’identique ce qu’il connaît déjà.
On peut dire que ces conditions sont de trois types : ontologique, politique et psychologique. La condition ontologique concerne la nature de l’être humain : si l’être humain est un être entièrement soumis aux nécessités physico-chimiques de la même manière que toutes les autres choses, alors les actions humaines sont entièrement déterminées et il n’est pas la peine de se demander que faire puisque tout se fait indépendamment de notre volonté ; si au contraire on admet dans la nature humaine une tendance qui échappe au déterminisme et qu’on peut appeler libre volonté, alors un choix des actions est possible et ouvert. Il y a débat philosophique sur cette question depuis 2500 ans, mais Castoriadis en tous cas s’inscrit parmi ceux qui font au minimum l’hypothèse d’une certaine liberté, même si elle est limitée par une multiplicité d’influences. La condition politique consiste à ne pas se trouver dans une société totalitaire, où aucune action n’est possible car tout est contrôlé et réprimé, aussi bien les activités que les pensées (c’est la société imaginée par Orwell dans 1984 et qui a été réalisée dans une certaine mesure par les régimes dits communistes). Dans la plupart des sociétés, qu’elles soient divisées en classes ou pas, qu’il y ait une classe dirigeante ou pas, la tendance est très forte à contrôler les activités et les pensées des individus, mais ce contrôle n’est pas total, il laisse du jeu, des marges, des brèches par où peuvent s’engouffrer des désirs et des créations nouvelles. On va revenir plus tard à la question essentielle de savoir comment favoriser ces ouvertures et stimuler les gens à s’y engouffrer.
La condition psychologique concerne la socialisation du psychisme, et, de même que la condition ontologique pose la question du déterminisme naturel, celle-ci pose la question du déterminisme social, et elle n’est pas évidente à trancher, si l’on a conscience de ce qu’est un psychisme humain à la naissance et de ce qu’il devient par le contact avec son entourage et l’ensemble des apprentissages. Castoriadis consacre toute une partie de son ouvrage à une étude de ce qu’il appelle la « monade psychique » et de la manière dont elle se constitue en un individu humain au travers des déterminations reçues de l’extérieur. Pour cette description des phases du développement psychique, il suit globalement Freud, en l’actualisant sur certains points quand il est trop prisonnier de son époque et en recourant éventuellement à d’autres psychanalystes. Sans entrer dans les détails, ce qu’on doit retenir de fondamental dans le processus de socialisation, c’est :
l’adoption du « principe de réalité », réalité que Castoriadis comprend au sens de la réalité socialisée et non de la réalité naturelle ; il s’agit de l’adaptation à une réalité sociale donnée, par apprentissage des significations, du langage et des manières de faire qui remplacent les représentations spontanées (il y a toujours représentations, au sens large du terme, car le psychisme est un « flux représentatif », un flux incessant d’images, de désirs, d’affects, puis de pensées, qui sont produits par cette source qu’est l’imagination radicale).
les différentes phases de rapport au plaisir : d’abord satisfaction immédiate non distinguée de sa représentation ; ensuite, distinction entre la réalisation de la satisfaction et sa représentation (phantasme, imagination, qui permet de supporter l’attente par une compensation imaginaire) ; ensuite, apparition de plaisirs non directement somatiques mais sublimés.
La transformation de la disposition au plaisir est capitale pour déterminer le type d’individu qui va se constituer : l’éducation au plaisir est la base de toute éducation (cf. extrait p. 458). Les représentations d’objets désirables et sources de plaisir sont d’abord données par l’entourage social, de sorte que personne n’échappe à l’empreinte des valorisations dominantes. Toute la question est : jusqu’à quel point, et comment favoriser la « reprise » de ces représentations par l’individu, c’est-à-dire sa capacité à modifier ou à dépasser les identifications proposées, de telle sorte que, si sa modification reçoit une valorisation sociale, elle créera une nouvelle identification disponible pour d’autres (cf. extraits p. 463-486).
Ainsi donc, l’analyse du psychisme humain confirme la double composante de l’individu, à la fois source irréductible de particularité et intégration indispensable des significations sociales disponibles. Freud disait que « où était ça, je dois advenir », le « ça » désignant non seulement les pulsions primaires mais plus largement l’inconscient lui-même, et le « je » désignant la subjectivité consciente, plus exactement la « subjectivité réfléchissante et délibérante ». Non pas que nous puissions être totalement transparents à nous-mêmes et supprimer tout inconscient, mais nous pouvons comprendre comment notre inconscient agit sur nous, à la fois en tant qu’il est imagination radicale et en tant qu’il est structuré par l’imaginaire social, et nous pouvons essayer d’accepter ses productions lucidement et avec une sélection critique. En particulier, en tant que l’inconscient est le discours de l’Autre, nous pouvons réfléchir sur nous-mêmes pour savoir quel est notre propre discours, comment nous approprier ce qui nous convient dans le discours de l’autre, puisque le supprimer n’est ni possible ni souhaitable.
Puisque donc une situation sans contraintes et sans influence de l’imaginaire social n’existe pas, et puisqu’il est impossible d’y échapper totalement si ce n’est dans le délire psychotique, il reste la possibilité de se fixer des objectifs qui ont un sens par rapport à la situation présente, qui tiennent compte de la situation présente pour construire autre chose. C’est le processus normal pour toute création, et c’est pourquoi Castoriadis établit une comparaison intéressante avec le processus de création artistique, qui lui aussi serait dans le délire s’il voulait se débarrasser de toute contrainte :
« Il est constitutif de l’action de se situer sur un sol, d’avoir affaire à et se débattre avec des choses qu’elle n’a pas voulues et qui sont là. S’il n’en était pas ainsi, ce ne serait pas d’action qu’on parlerait mais de création absolue dans le néant — et qui serait certes néant, comme l’est le monde par rapport au Dieu judéo-chrétien. L’aliénation se trouve dans la différence entre conditionner et déterminer. Il y a aliénation, au sens le plus général, lorsque les résultats de l’action passée non plus seulement conditionnent, mais dominent l’action présente, y compris, dans le sens de Marx, que les « forces objectives » créées par l’homme « échappent à son contrôle ». Un état est possible où celles-ci restent sous son contrôle : ce qui est loin de signifier que les créations peuvent être instantanément annihilées par pure décision, mais signifie simplement que la signification du donné est récupérée de façon continue, qu’une reprise perpétuelle du donné (tenant compte de ses lourdeurs, de sa résistance, de ses « lois propres », etc.) est constamment possible. Cet état n’a rien de mythique. C’est celui qui est constamment réalisé dans toute œuvre de création. Lorsque Bach écrit une Passion, il ne fait rien d’autre. La liberté de création ne consiste pas à se placer dans une situation de liberté abstraite totale par rapport aux moyens et aux formes (liberté imaginaire et fantasmatique) de la musique — elle ne consiste donc pas à faire ce qui serait en fait sortir de la musique et à considérer toute musique et même toute expression comme radicalement contingente : elle consiste à dominer les moyens effectivement disponibles (et à en créer éventuellement d’autres) pour leur faire servir son intention, pour en faire l’expression adéquate d’un contenu — contenu qui est vécu comme vérité absolue. » (Histoire et création. Textes philosophiques inédits (1945-67) ; réunis, présentés et annotés par Nicolas Poirier. Seuil, 2009, p. 105).
« Tout n’est pas possible assurément : pour autant que la réalité est « définie », elle définit aussi, cela veut dire qu’elle est déterminée et déterminante ; le nouveau ne peut être vraiment nouveau que s’il a un sens quant à ce qui existe déjà, autrement il ne serait pas nouveau, il serait insaisissable, innommable, irréel. Mais le nouveau est nouveau en tant que, non seulement il fait apparaître un nouveau sens, mais qu’il donne un autre sens à ce qui était déjà là et dont on pouvait penser jusqu’alors le sens comme déterminé, défini, clos. » (Idem, p.145).
Tout ceci nous aide à comprendre quelque chose de très important pour penser l’action de l’individu sur la société, c’est que l’aliénation est un tout autre phénomène que l’oppression, et qu’une société peut être extrêmement aliénante en dominant l’imaginaire des individus sans être oppressive, c’est-à-dire sans avoir besoin de structures coercitives, punitives, et en général violentes. Nous sommes actuellement dans une société qui utilise les deux formes de contrôle des individus : d’une part, vis-à-vis de la majorité, ce qui est mis en œuvre c’est la « fabrication du consentement » (d’après l’expression de Chomsky « manufacturing consent »), par le matraquage idéologique qui s’exprime dans tous les discours des pouvoirs institués et par l’intermédiaire des médias ; d’autre part, vis-à-vis de la minorité sur laquelle ce matraquage n’a pas de prise et qui exprime son opposition, on met en œuvre l’arsenal juridique et policier, donc la violence d’État. Une minorité peut donc être très autonome dans sa conscience et sa compréhension de la situation, mais empêchée de réaliser son autonomie dans ses activités concrètes, en raison des interdictions légales de le faire, et c’est pourquoi l’autonomie n’est pas seulement une éthique de l’individu, mais nécessairement un projet politique collectif. Castoriadis emprunte d’ailleurs la formule de Bakounine (sans le dire) : « Je désire qu’autrui soit libre, car ma liberté commence là où commence la liberté de l’autre et que, tout seul, je ne peux être au mieux que « vertueux dans le malheur ». » (p. 137). Et il ajoute un peu plus loin en note : « Dans une société d’aliénation, même pour les rares individus pour qui l’autonomie possède un sens, elle ne peut que rester tronquée, car elle rencontre, dans les conditions matérielles et dans les autres individus, des obstacles constamment renouvelés dès qu’elle doit s’incarner dans une activité, se déployer et exister socialement : elle ne peut se manifester, dans leur vie effective, que dans des interstices aménagés à coups de chance et d’adresse, à cotes toujours mal taillées. » (p. 161, note 38). Il y a là une double réponse à la double stratégie de domination de l’État : contre l’aliénation des individus par le contrôle de leur imaginaire, il faut répandre le désir de se libérer par rapport à la colonisation de l’imaginaire, de retrouver ses propres créations et valeurs (car nous ne sommes pas dans le règne de l’individualisme, mais dans celui du conformisme) ; contre l’oppression de ceux qui ont le désir d’autonomie, il faut lutter contre les structures coercitives et promouvoir, soutenir, les réalisations autonomes concrètes, par ex. les productions en autogestion, les territoires qui s’affranchissent du pouvoir de l’État, etc. Si on agit politiquement sans que les individus agissent sur eux-mêmes, on renversera peut-être le système mais pour retomber dans les mêmes ornières ; si les individus agissent sur eux-mêmes sans lutter contre les structures oppressives, ils ne pourront jamais réaliser réellement leur autonomie.
Cependant, il y a eu plutôt une aggravation qu’un progrès depuis les premiers écrits de Castoriadis : autant dans les années 50-60 il pouvait présenter son projet d’autonomie comme un projet collectif, porté par une certaine partie de la population, autant à partir des années 80 il lui faut constater l’apathie généralisée, l’absence même de désir de changement si ce n’est pour limiter des dégâts marginaux. Je crois que c’est le gros problème du militantisme actuel, qui dans une large proportion ne propose plus de projet de changement global, et ne se mobilise plus que contre les exclusions (des sans-abri, des sans-papiers, des Roms, des prisonniers...) comme si le seul but était d’intégrer tout le monde au système, comme si le système capitaliste n’était mauvais que parce qu’il crée des exclusions. Cela relève manifestement d’un manque de lucidité sur sa propre situation aliénée ou d’une incapacité à exprimer le désir d’une société vraiment autre.
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